La politique énergétique ne peut pas se passer du nucléaire

La mise en service entre 1987 et 1992 de 4 réacteurs à Cattenom constitue une sorte de trauma national, faisant craindre une « catastrophe nucléaire », genre Tchernobyl ou Fukushima, à 10 kilomètres de notre frontière ! Depuis le « Non » à « Cattenom » reste le crédo inébranlable de la politique nationale, tous partis politiques confondus.

Quand le Premier ministre Luc Frieden eut l’audace de penser tout haut que de plus en plus de pays se convertissent à l’énergie nucléaire, une clameur d’indignation le fit prestement rentrer dans le rang. Au sein de l’Union européenne, le Luxembourg reste le bastion des « anti-nucléaires ». Le gouvernement Bettel s’était même abstenu pour les crédits européens soutenant la recherche pour la fusion nucléaire. Qui progresse pourtant spectaculairement en Chine, aux Etats-Unis et en France.

La souris peut rugir. Mais les donneurs de leçons grand-ducaux impressionnent de moins en moins. La réalité économique et énergétique veut qu’un nombre croissant de pays misent sur le nucléaire comme source d’énergie propre, n’émettant pratiquement pas de gaz à effet de serre. Selon l’Agence Internationale de l’Energie, 413 réacteurs nucléaires fonctionnent dans 32 pays, produisant autour de 10% de la consommation mondiale d’électricité. Fin 2024, 63 nouveaux réacteurs étaient en construction, portant à 40 le nombre des « pays nucléaires ».

Pendant longtemps l’Allemagne fut à la pointe de la recherche en matière de fission nucléaire. L’ « Atomausstieg » a non seulement conduit à la fermeture de toutes les centrales nucléaires allemandes. Mais y a également anéanti toute recherche nucléaire, et, partant, tout le savoir-faire autour d’une science qui reste d’avenir.

Ainsi sur les 52 réacteurs nucléaires construits depuis 2017, 25 utilisent la technologie chinoise, 23 la technologie russe. Seule la France, avec son EPR (European Pressurized Reactor), a réussi à installer ce genre de centrales très sûres en Finlande, en Grande-Bretagne, en Chine et à Flamanville en Normandie.

La France vient de décider une relance de sa politique nucléaire. En misant sur la technologie EPR améliorée. En discussion est notamment la construction d’un réacteur EPR-2 au site de Cattenom. L’horreur absolue pour tous les anti-nucléaires nationaux. Qui en plus de 40 ans de « lutte acharnée » contre ce site honni n’ont rien obtenu. Rien de rien.

« I had a dream… »

A la façon de Martin Luther King faisons un rêve. Le rêve d’un retour de la politique luxembourgeoise aux réalités économiques et énergétiques. Les faits sont têtus. Selon le Statec, la consommation finale d’énergie de notre pays fut en 2022 de quelque 3,7 millions de tonnes équivalant pétrole. Dont 63% de produits pétroliers, 13% de gaz naturel et 14,3% d’électricité. Néanmoins, grâce à une meilleure efficience énergétique, notamment dans l’industrie, les émissions nationales de gaz à effet de serre se réduisent.

Or, quel est le discours politique dominant ? Il faut tout « décarboniser » et passer au tout-électrique. Pour l’industrie, les activités économiques, le chauffage et les transports. Les fameux 49% de voitures électriques à l’horizon 2030. Oublions « le tourisme à la pompe », si rémunérateur pour l’État. En augmentant les taxes, nous avons déjà réussi à faire reculer les ventes de diesel. Qui revient moins cher en Belgique pour les transporteurs professionnels. Cela équivaut à « une fuite de carbone » ne conduisant nullement à une réduction des émissions globales. Ni à une diminution des transports internationaux utilisant nos routes.

Toutefois la politique fait miroiter « l’énergie gratuite » fournie par le soleil et le vent. Un rêve doux, qui gomme le coût, également environnemental, des éoliennes et des parcs photovoltaïques. Dont la construction nécessite beaucoup d’énergie et des métaux souvent rares. Surtout le soleil et le vent sont des sources d’énergies intermittentes non programmables selon les besoins des consommateurs privés ou professionnels.

Lors de la dernière décennie, les heures d’ensoleillement à Luxembourg furent en moyenne de 1.607 heures sur douze mois, alors qu’une année compte 8.760 heures ! La volatilité de ces sources dites vertes a fait osciller en 2022 la part nationale d’énergie renouvelable dans notre consommation d’électricité entre un minimum de 8% et un maximum de 50%. Le plan climat-énergie prévoit d’ici 2040 une augmentation de l’énergie électrique renouvelable de 200%, de la chaleur renouvelable de 340% et des carburants renouvelables de 280%. De tels objectifs ne sont réalisables qu’avec des « back up » substantiels, capables de remplacer rapidement un manque soudain de vent ou de soleil.

Comme l’ont démontré les « Dunkelflauten » à répétition qui ont frappé cet hiver l’Allemagne, seules des centrales à charbon ou à gaz sont en mesure de pallier ces défaillances subites. Ou les centrales nucléaires françaises qui ont fourni cet hiver à l’«atomfreie » RFA l’équivalent de la capacité nucléaire y éliminé récemment.

L’éventuel stockage d’énergie a également un coût environnemental, les batteries ne fonctionnant qu’avec des métaux et terres rares. Celles-ci ne sont pas encore en mesure de stocker les quantités requises d’énergie pour faire fonctionner en permanence un appareil productif important. Ne fut-ce qu’un « datacenter » pour « l’intelligence artificielle ».

D’aucuns font miroiter l’hydrogène comme source d’énergie non polluante et théoriquement inépuisable. Le seul problème, mais de taille, est que « l’hydrogène vert » doit être produit sur base d’énergies renouvelables. Il doit être liquéfié à -253° pour être transporté et utilisé comme carburant. Comme le dit Tom Eischen d’Enevos dans une contribution à « idea » : « Dans ce domaine, tout reste à faire et le nombre d’incertitudes est considérable ». Le rapport annuel de l’IEA décrit le « stade embryonnaire » de l’hydrogène comme vecteur énergétique. En 2022 fonctionnaient aux Etats-Unis 2.600 km et en Europe 2.000 km de conduites pour hydrogène liquide. Selon l’IEA quelque 13.500 km de pipelines supplémentaires seront mises en service avant 2030. A comparer avec les 1,2 millions de kilomètres de conduites de gaz liquide utilisés globalement !

La politique de transition énergétique, au Luxembourg comme ailleurs, n’échappera pas aux réalités. La demande énergétique croissante, notamment en électricité, ne pourra pas être satisfaite avec les seules énergies dites « douces ». Jean-Baptiste Fressoz, dans son œuvre magistrale « Sans Transition », a démontré comment matières et énergies sont non seulement reliées entre elles, mais croissent ensemble et s’empilent les unes sur les autres.

Notre gouvernement se dit à l’écoute du GIEC et respectueux des conclusions des Conférences sur le Climat des Nations Unies. Le GIEC plaide pour au moins un doublement de l’énergie nucléaire. La récente COP28 a retenu dans ses conclusions que le gaz et le nucléaire sont essentiels à la transition énergétique.

Le gouvernement précédent a pris une importante participation financière dans une île d’éoliennes « off-shore » danoise, supposée fournir à partir de 2030 de l’énergie renouvelable au seul Danemark. Le projet a pris du retard, sera beaucoup plus coûteux, donc moins économique.

Pourquoi ne pas entrer en négociation avec la France, afin de nous assurer une participation dans l’EPR-2 à construire à Cattenom ? Qui deviendrait ainsi un fournisseur d’énergie propre et un back-up sûr pour notre propre production d’énergies renouvelables. Un rêve, ou une politique plus réaliste, plus ambitieuse ?